Secrets et singularités de la porte fortifiée de Tournon-d’Agenais

23 octobre 2025

Un symbole d’histoire encore vivace au cœur de la bastide

Nichée au sommet de sa colline, la bastide de Tournon-d’Agenais veille sur la vallée, et s’y dresser, c’est aussitôt remarquer : la porte fortifiée, témoin muet de siècles d’histoire. Ce portail d’entrée, souvent appelé "porte de la ville" ou "porte de la rue Royale", n’est pas seulement un vestige du passé médiéval. Il raconte à lui seul l’évolution du bourg, son rôle militaire, mais également la manière dont la commune a su préserver et valoriser ce patrimoine exceptionnel.

Origines et contexte : à quoi servait la porte fortifiée ?

La bastide de Tournon-d’Agenais a été fondée en 1271 sous l’impulsion du roi Philippe III le Hardi, dans la vague des créations de bastides qui ont structuré le sud-ouest (source : Wikipedia). La porte fortifiée faisait partie intégrante du système défensif de ces nouvelles cités, construites selon un plan quadrillé autour d’une place centrale, avec un rempart continu percé de portes contrôlées.

La porte fortifiée avait plusieurs fonctions :

  • Contrôler l’accès : elle permettait de gérer les entrées et sorties, notamment en fermant la nuit ou lors de conflits.
  • Assurer la défense en cas d’assaut : épaisse, étroite, souvent flanquée de tours ou de mâchicoulis, elle était conçue pour retarder l’ennemi.
  • Percevoir les droits de péage : poste obligatoire pour percevoir taxes de marché ou d’octroi.

Une architecture défensive typique du XIIIe siècle

La porte fortifiée de Tournon-d’Agenais, qui ouvre actuellement sur la Grand Rue, présente plusieurs caractéristiques remarquables, à la fois communes aux bastides du Lot-et-Garonne et spécifiques au village.

Matériaux et appareillage

Le bâti, en pierre calcaire locale, résiste admirablement au temps. Les pierres de taille sont massives, montées de façon régulière, ce qui trahit une grande maîtrise de la construction à l’époque médiévale. On observe, à la base, des moellons plus grossiers propre à la région, tandis que l’arc de la porte montre un parfait appareillage en plein cintre.

Dispositifs défensifs : au delà de la simple porte

Prenons le temps d’observer chaque détail du portail :

  • Le passage voûté : permettait autrefois d’installer une herse, même si aujourd’hui elle a disparu. L’emplacement de l’ancrage du système reste discernable.
  • Traces de gonds et de rainures : subsistent, prouvant la présence de lourds vantaux en bois renforcés de fer, encore visibles dans certaines bastides voisines comme Villeréal ou Monpazier.
  • Les meurtrières verticales : situées sur les côtés, ces fentes permettaient de tirer à l’arc ou à l’arbalète sur quiconque approchait.
  • La poterne latérale : une petite porte plus discrète, destinée aux sorties rapides ou à l’évacuation en cas de siège, a été identifiée lors de restaurations récentes.

L’évolution de la structure au fil des siècles

Au fil des époques, la porte a connu diverses modifications, adaptant ses fonctions à la tranquillité retrouvée du bourg. Plusieurs documents des Archives départementales du Lot-et-Garonne attestent que le couronnement crénelé et les chaperons de protection furent supprimés au XVIIIe siècle (source : Archives départementales 47). Ainsi, la porte est aujourd’hui moins haute qu’elle ne l’était à l’origine.

Particularités locales et éléments uniques à Tournon-d’Agenais

Une fonction de parcours et de repère

Contrairement à beaucoup d’autres bastides, Tournon-d’Agenais a conservé l’un de ses accès médiévaux principaux en bon état. La porte n’est pas seulement une entrée : elle structure la topographie du village. Placée sur l’axe montant principal, elle crée un point de passage obligé en direction de la place des Cornières.

Une inscription commémorative unique

Sur la clef de voûte de la porte, une inscription en latin : « Anno Domini MCCLXXI » rappelle l’année de fondation de la bastide. Ce détail est une singularité locale, car peu de portes anciennes dans la région affichent aussi clairement leur date de construction. Selon le spécialiste G. Estienne (ouvrage : Bastides du Sud-Ouest, éditions Privat), cela marque la volonté des édiles de faire de Tournon une place de prestige à sa création.

La tour attenante et le pigeonnier

Un autre aspect qui distingue la porte fortifiée : l’existence d’une tour attenante ayant servi de pigeonnier communal jusqu’au XIXe siècle. Ce double usage n’est pas fréquent et symbolisait la richesse du bourg et l’organisation collective, car seuls certains villages autorisaient un pigeonnier rattaché à la porte (source : Pigeonniers.net).

La porte, témoin des grandes heures de Tournon-d’Agenais

Un point stratégique lors des sièges

Durant la Guerre de Cent Ans, le bourg de Tournon-d’Agenais fut assiégé à plusieurs reprises. La porte était alors le point de résistance. Les chroniques locales racontent qu’en 1377, les défenseurs réussirent à repousser une compagnie anglaise en incendiant des pièges à l’huile sous la porte, profitant de la configuration étroite pour canaliser les assaillants (source : Les bastides en guerre, Bernard Piqué). Ces faits soulignent la dimension militaire de l’architecture.

Une adaptation à la paix : l’époque moderne

Aux XVIIe et XVIIIe siècles, avec le recul des guerres de religion et la sécularisation de la commune, la porte perdit sa vocation défensive. Elle devint un marqueur social, passage obligé de tous les visiteurs et voyageurs. Les archives municipales mentionnent (registre de 1723) que la porte servait alors de support à l’affichage des arrêtés royaux et aux proclamations publiques.

La sauvegarde au XXe siècle

De nombreux villages ont démoli leurs portes lors d’élargissements urbains au XIXe siècle, mais à Tournon, la mobilisation des habitants a permis sa sauvegarde. Dès 1909, la porte est classée au titre des Monuments historiques (source : Base Mérimée), ce qui garantit sa préservation et permet aujourd’hui d’admirer un ouvrage médiéval dans son contexte d’origine.

Dimensions et détails techniques : l’ingéniosité des bâtisseurs

Voici quelques caractéristiques architecturales spécifiques (relevées lors des visites guidées estivales) :

Elément Particularité
Hauteur actuelle de l’arche 4,80 mètres
Épaisseur du mur 1,6 mètre à la base
Largeur du passage 2,50 mètres
Traces de systèmes de fermeture Ancrages visibles, rainures verticales pour herse
Matériaux utilisés Calcaire local, mortier de chaux
Décorations Clef de voûte ornée, inscription millésimée

De la porte fortifiée à la carte postale vivante

En parcourant la Grand Rue, franchir la porte fortifiée n’est pas anodin : c’est entrer dans un univers dont chaque pierre raconte un pan d’histoire, de luttes ou de joies partagées, de peurs d’autrefois comme de fierté collective. La porte de Tournon-d’Agenais, au-delà de sa valeur militaire et patrimoniale, reste aujourd’hui un repère essentiel pour tous les visiteurs et habitants.

Son authenticité, préservée grâce à des restaurations respectueuses, attire chaque année des centaines de passionnés d’histoire et de curieux du patrimoine. Les balades patrimoniales proposées notamment lors des Journées du patrimoine abordent l’histoire de la porte et expliquent comment chaque ajout, chaque cicatrice architecturale, se lit comme une page d’un livre ouvert sur plus de sept siècles.

Loin d’être figée, la porte fortifiée continue de jouer un rôle dans la vie locale : elle accueille marché gourmand l’été, illustre les affiches de fête médiévale ou sert de décor à des scènes photographiées par des visiteurs. La richesse de ses particularités confirme son rang de symbole, non seulement de Tournon-d’Agenais, mais de tout l’art de vivre dans les bastides du Lot-et-Garonne.

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