À la découverte des trésors cachés de Tournon-d’Agenais

2 novembre 2025

Les marques de la bastide médiévale

Fondée en 1271 par Philippe III le Hardi, la bastide de Tournon-d’Agenais conserve dans ses pierres des souvenirs de son organisation urbaine médiévale (patrimoines.lotetgaronne.fr). Si les halles ou la place centrale s’imposent, d’autres éléments plus discrets témoignent de siècles d’histoire.

Les portes et arcs d’origine

  • Restes de portes fortifiées : En arpentant les abords de la ville haute, on distingue les vestiges d’anciennes portes d’enceinte, dont certaines pierres datent du XIV siècle. La Porte de la Lède, très remaniée, conserve toutefois des joints médiévaux d’origine.
  • Arches murées : Dans la Grand’Rue, plusieurs passages voûtés aujourd’hui bouchés attestent de l’existence d’anciennes venelles ou “andrones”. Leur maçonnerie irrégulière et leurs arcs en plein cintre sont caractéristiques des constructions du Moyen Âge.

Subtilités du plan en damier

  • Désaxement des rues : Certaines rues, visiblement alignées, présentent des décrochements révélateurs des ajustements faits lors de la fondation de la bastide. Leurs tracés confirment l’influence des plans cadastraux médiévaux.
  • Implantations de maisons à colombages : Quelques résidences, surtout place des Corniers, gardent des pans de bois murés ou des encorbellements à peine visibles derrière l’enduit.

Symboles et graffiti : la mémoire silencieuse du quotidien

Certains détails gravés dans la pierre témoignent des occupations, des croyances ou de la sociabilité de l’époque. Leur présence, souvent ignorée, révèle des tranches de vie oubliées.

Les graffiti et marques de tailleurs de pierre

  • Sur la façade de l’ancienne Maison commune, quelques pierres portent la signature de compagnons tailleurs : initiales, formes géométriques, dates rudimentaires (on relève un discret “1486” sous la corniche nord).
  • Au sud du village, le linteau d’une maison de la rue Sainte-Catherine présente plusieurs croix gravées, qui pourraient signaler un passage de pèlerins vers Compostelle (source : C.Boutin, “Bastides et chemins de Saint-Jacques”, 1998).

Détails votifs et superstitieux

  • Croix apotropaïques : Plusieurs habitations arborent, sous les linteaux ou sur les jambages, de petites croix pattées censées protéger le foyer.
  • Symboles liés à la fécondité : Un motif en forme de losange, fréquent sur les portes du quartier du Rieu, rappelle, selon l’ethnologue F. de Wismes, des croyances de la France rurale du XIX siècle.

Patrimoine hydraulique et ingénieux de la bastide

Tournon-d’Agenais doit une partie de sa longévité à la maîtrise de l’eau. Outre la fontaine du Barry, plusieurs éléments discrets rappellent cette histoire.

Puits, citernes et trous de puisage

  • Puits médiévaux : La bastide compte au moins sept puits répartis entre le bourg et les faubourgs, dont trois sont toujours visibles, parfois intégrés dans des propriétés privées. L’un, creusé à plus de 25 mètres de profondeur (source : Service d’Inventaire du Patrimoine, Lot-et-Garonne), se cache derrière la Mairie.
  • Trous d’évier ornés : Sur plusieurs seuils de maisons de la rue Basse, des entailles rondes servaient à évacuer l’eau domestique vers la rue, système ingénieux et invisible au premier regard.

Lavoir communal oublié

  • Une arche en pierre moussue le long du chemin de la Tuque est le vestige d’un ancien lavoir public, très utilisé jusqu’aux années 1950. Chaque jeudi, les lavandières faisaient vivre ce lieu, où les histoires du village circulaient autant que l’eau (témoignages recueillis dans “Tournon-d’Agenais, mémoire d’un village”, éd. C.I.D.E.M., 2006).

Traces d’un passé religieux et communautaire

Au-delà des grandes églises ou du clocher typique, Tournon-d’Agenais a connu une histoire religieuse complexe : protestants, juifs, catholiques s’y sont succédé, laissant des marques discrètes.

Les vestiges juifs

  • Les registres municipaux du XIII siècle signalent la présence d’une communauté juive. Quelques caves, dans le quartier de la “Carrèra Jusiua”, présentent encore des niches murales, typiques pour accueillir des lampes à huile utilisées lors du Sabbat. On y distingue un arc en plein cintre modeste et, sur un linteau, la gravure d’une menorah stylisée (Cf. “Les Juifs de Gascogne”, A. Toledano, 1984).

Les traces protestantes

  • Plusieurs maisons du faubourg Saint-Pierre portent, sur les encadrements de fenêtres, des inscriptions à peine lisibles — initiales, années liées aux décennies du XVII siècle, période d’intense activité protestante dans la région.
  • Le “templet”, petit oratoire domestique disparu aujourd’hui, a laissé des bases de pierres dans un jardin particulier au sud de la bastide.

Architecture civile et détails d’ornement

Bien des secrets d’architecture résident dans les détails que le promeneur attentif saura repérer.

Linteaux sculptés et impostes médiévales

  • Place du Foirail, le linteau d’une porte daté de 1624 porte un bas-relief énigmatique : probablement un symbole de compagnonnage ou un motif de la famille propriétaire d’alors.
  • Sur la place des Corniers, les impostes de fenêtres présentent des rosettes sculptées, motif décoratif typique de la fin du Moyen Âge local, que l’on retrouve également à Monflanquin et Penne-d’Agenais.

Pots à feu et tuiles d’épargne

  • Pots à feu : Plusieurs toitures anciennes sont encore ornées de “pots à feu”, éléments de terre cuite qui servaient à la fois d’ornement et de paratonnerre sommaire.
  • Tuiles vernissées : Le jeu de couleurs sur certains pans de toitures de la rue du Maréchal-Foch laisse deviner l’existence, dès le XVIII siècle, d’ateliers de tuiliers locaux (Inventaire, CAUE47, 2011).

Les “ségrines” ou pierres de seuil

  • Sur de nombreuses entrées, la présence de pierres de seuil arrondies, appelées localement “ségrines”, signale les anciennes boutiques ou ateliers médiévaux, car le passage répété des chariots y a laissé une trace polie.

Un patrimoine vivant à découvrir

Ce patrimoine discret compose une véritable mosaïque d’indices et de traces, témoignages d’un village en perpétuelle évolution. Loin de l’évidence des grands monuments, ces petits signes racontent, pour qui sait les observer, des histoires précieuses : celles des familles d’artisans, des communautés disparues, des croyances populaires.

Pour en saisir toute la portée, la meilleure approche reste de parcourir Tournon-d’Agenais à pied, le regard attentif aux détails souvent dérobés derrière une haie, sous un auvent ou au détour d’une ruelle oubliée. Ce sont ces découvertes qui dressent, brique à brique, l’âme authentique de la bastide, et qui suscitent, chez l’habitant comme chez le visiteur, la même curiosité éveillée.

Au fil des saisons, à l’occasion d’une visite ou d’une balade, gardez l’œil ouvert : le patrimoine de Tournon-d’Agenais ne se révèle qu’à ceux qui prennent le temps de s’y arrêter, d’interroger la pierre et d’écouter le murmure discret de l’histoire.

En savoir plus à ce sujet :